un peu de lecture

1-LE MATCH

C’est le moment que je préfère. Ce moment suspendu dans le néant.
Un instant éphémère, et pourtant si long dans mon esprit.
Le temps est suspendu dans les ténèbres.

Yush, comme tous les autres, reste en silence, sa propre respiration à peine audible. Aucun bruit ne vient perturber cet instant sacré. Pourtant ils sont des milliers ici. Des milliers autour du terrain, où les deux équipes vont dans quelques cycles faire le spectacle.
Tout est dans plongé dans l’obscurité. Ni lumière, ni bruit.
Soudain le terrain apparaît. Lentement les raies de lumière dessinent les zones du terrain, sous forme d’un immense nid d’abeille.

Nids d’abeille.

La première fois qu’il avait entendu ce mot, il s’était demandé ce que c’était qu’une abeille. L’ EPI (Encyclopédie Partagée Integrine) lui avait montré ces animaux depuis longtemps disparu.

Des hexagones noirs brillants, dessinés par des traits lumineux.

Puis les parois du terrain, transparentes pour que le public profite du spectacle, deviennent apparente, surplombées de ce toit du même matériau, la plastisoie. Légère, résistante, mais élastique, la plastisoie permet au jeu de ne jamais s’arrêter, permet à la balle de rebondir en gardant sa vitesse, mais empêche le jeu de sortir, le maintenant confiné sur le terrain.

Au plafond se dessine les zones de score. De simples trous où l’équipe peut envoyer la balle pour marquer des points. C’est aussi par le toit que les caméras robotisées détectent et sanctionnent immédiatement les fautes par l’aspiration.

L’aspiration. Je déteste çà. On se sent décoller brutalement, et en quelques secondes nous voilà projeter dans notre banc de touche. Même quand c’est pour une blessure, et que cela permet de me soigner rapidement. Je préfère qu’un adversaire me choque plutôt que cette aspiration !

Se faire choquer ! Doux nom pour ce sport d’une violence impitoyable. Car les joueurs n’hésitent pas pour se faire le passage : charge, coups de poings ou de pieds, parfois même lancer la balle de Titanium sur l’adversaire. Certains joueurs sont mêmes des spécialistes du choc : les Guards. Robustes, puissants, bien couvert de leur armure, ils ne sont pas capables de prendre la balle, mais ils ne sont pas là pour çà.

Non, ça c’est le travail des Strikers. Sveltes, rapides, agiles, ils savent manier la balle, la passer et la récupérer, la lancer dans la zone de marque. Mais ils sont si fragiles. Et entre les deux il y a Yush. Yush est un Jack, il sait un peu faire les deux, sans être très bon dans un domaine particulier. Le public n’aime pas les Jacks. Ce qu’il aime, lui, c’est qu’il y ait du sang, des lancers de balle incroyables. Le travail des Jacks, pourtant nécessaire, seuls les coachs le voient et le félicitent.

C’est le moment !

Les équipes, sous les hurlements de la foule, entrent sur le terrain. Yush reste lui sur le banc. Il est en fin de carrière, il sait que sa place est maintenant celle d’un remplaçant. Et cela lui va, il ne souhaite pas mourir maintenant qu’il arrive à la fin. A la fin de ces années d’entraînements intensifs, de blessures et de soins, craignant toujours d’être mis sur la touche.

Finalement la vie sur le vaisseau était moins pire ! Certes on avait pas grand-chose à manger, mais au moins on était soudé, on s’entraidait, et on était prêt à tout pour les autres.

La sirène de départ le fait sursauter. Et d’un seul coup on n’entend plus que les bruits de course des joueurs, et le sifflement de la balle.  L’arbitre robotique est en mouvement, scrutant de ses innombrables caméras le terrain et les joueurs. Du banc les remplaçants ne voient rien, alors, comme leur coach, Lizan, il regarde l’écran où est retransmis le match. Kyeran, leur striker vedette, a attrapé la balle, et escorté de deux Guards, il fonce dans le camp adverse. Les adversaires sont repoussés, et rapidement Kyeran prend position pour lancer la balle dans le trou de strike, marquant les premiers points de l’équipe sous les ovations du public.

Ce sport ne s’arrête pas !

Tout le monde a appris cela sur ce sport. Dès qu’une balle entre dans un trou de strike et marque, une nouvelle balle est lancée, ne laissant aucun répits ni aux joueurs, ni au public. Kyeran s’est tourné d’un seul mouvement, repartant se positionner pour recevoir la balle si un de ses collègues l’attrapent.
- « Quel idiot ! » hurle Lizan devant le geste du jeune et imprudent Kyeran.

Un colossal Guard, ignorant la balle, se rue vers lui dans une puissante charge. Sautillant sur place, Kyeran semble l’attendre quand, au dernier instant, il roule sur le sol, esquivant la charge du monstre d’acier. Le public hurle de satisfaction devant ce mouvement, puis exulte quand Kyeran, qui n’a eu que le temps de se relever, prend au visage un violent coup de pieds d’un Jack adverse, l’envoyant roulé sur lui-même dans un lugubre craquement.

Il est immédiatement aspiré, tandis que Lyzan, sans un regard pour la cuve de soins où le striker est mis, attrape Yush sous le bras et le propulse vers le terrain.
- « Pas de folie le vieux » lui lance-t-il simplement.

De folie ? Je sais pourquoi je suis là : serrer la défense et encaisser les chocs à la place des autres.

Tout va très vite. Tout a toujours été très vite dans ce sport, mais encore plus avec l’âge.  Alors maintenant Yush prend le temps. Un peu trop parfois, mais il a besoin d’analyser ce qui se passe.

Les Borrons, leurs adversaires, viennent de marquer. Un strike qui vaut beaucoup de points, qui les propulsent en tête. Mais déjà une autre balle est là, que Mül, autre striker, va récupérer. Mais les Guards ne sont pas revenus, et alors que Yush va doucement se placer pour couvrir un des trous de strike, les Borrons attaquent Mül.

Yush scrute ce qui se passe, et, tandis que Mül virevolte en attendant les secours, il aperçoit une Guard Borron. Malgré l’armure, Yush entrevoit le corps athlétique d’une jeune femme, de la célèbre Tiane, la Guard star des Borrons.

D’un seul élan elle saute par-dessus un adversaire, puis vient prendre appui contre un des murs pour revenir vers Mül qu’elle fauche d’un coup de pieds.

       Elle est venue le frapper de dos !

Il y a peu de fautes dans ce sport, et les joueurs avertis savent les utiliser ou les éviter.  Tiane est experte en cela. Ce type de coup n’est autorisé que lorsqu’on vient derrière l’adversaire, mais, en prenant appui sur le mur, elle piège l’arbitre qui ne peut calculer l’action.

Elle est vraiment incroyable !

Mül, au sol, lâche la balle qui, rebondissant de tout part, se dirige vers le mur opposé.

Maintenant !

Yush, instinctivement, sent qu’il peut faire quelque chose. Comme dans sa jeunesse, comme dans les hangars du cargo stellaire. Il se met alors à courir vers la balle, devinant sa direction et sa vitesse pour l’intercepter. Il discerne aussi Tiane qui suit cette même trajectoire, convaincu qu’elle viendra le faucher.

Il court aussi vite qu’il le peut, mais, jetant de bref coup de d’œil, il aperçoit Tiane arrivant sur son côté. Elle prend un appui plus prononcé.

Allez !

Yush, profitant de son élan, se laisse glisser au sol, passant sous la jambe deTiane qu’elle a lancé à pleine puissance, puis, d’un même geste, il attrape la balle et e relève, continuant sa course vers la zone de strike. Il entend le public qui gronde, faisant résonner la salle. Grisé par son propre geste, il se rue vers le dernier Guard adverse, puis se contorsionnant, vient lancer la balle sous le bras de son adversaire.

Le geste, sûr et répété des milliers de fois, vient marquer, mais Yush n’a pas le temps de s’en féliciter ni d’entendre le public. Le Guard le saisit, et, d’un coup d’œil, il voit Tiane arriver dans son dos et venir projeter son poing contre sa nuque.

NON !

Il entend le craquement de sa nuque, puis sent l’aspiration.